Overblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog

Souvenirs d'iroise (4)

 

 

Pour en finir : Quelques stances pour passer le temps

--------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------

-1-

Aller comme un fantôme

A sillonner la rue Robespierre

 

Cet emblème de massacre

Devenu viscère et humeur et fiel

 

Des jours et des années pour s’extirper

De la rue qui n’en finit pas de monter

Prendre corps ou l’emprunter ?

 

-2-

L’escalade se nourrit d’elle-même

A dévorer la vie jusqu’aux antipodes

 

Et il semble qu’à jamais le ciel s’éloigne

A mesure que se cherche le souffle

 

On va longtemps comme un fantôme

Avant de s’asseoir comblé et vide

Tour à tour le chant puis le silence

 

                              -3-  

Lorsque tout est un combat

Qu’il faut vivre malgré, au lieu de vivre pour

 

Lorsqu’on voudrait tout dire

Et qu’on n’apprend qu’à se taire

 

On risque de faillir à tout va

Ou bien encore d’oublier

La promesse infondée d’avoir vu le jour

 

-4-

Des échafaudages qu’ils montaient, comme à l’échafaud

Il en tombait des dizaines au fond des rues foutraques

 

Que voulez-vous qu’ils fissent

D’une vie de puanteur de sang et de pierre ?

 

Un bâtiment qu’on monte, la vie des enfants, rue Robespierre

Et plus tard des femmes jetées par les fenêtres

Les joues gonflées de coups et confites à l’alcool

 

-5-

Parmi ceux qui sont morts à reconstruire la ville blanche

Mon père peignait là, puis revêtait le costume des dimanches

 

Pour oublier l’odeur de métal et les cercueils de planches

En imaginant que certains prendraient leur revanche

 

Les réchappés ne verraient rien encore que la guerre

Pas la grande mais un ravage de soleil au fond des Aurés

Ils en reviendraient la tête cassée comme du verre

 

-6-

Fous comme des diables à remâcher leurs mots

Des délires de grenades qui leur restaient dans la peau

 

Mélangés à ceux qui mourraient, suppliciés

Ils ont abandonné leurs vies aux charniers

 

Ne durent que la peur et la démence des rages

Le silence ou la crépitation des bouches à feu et à sang

Fous de guerre sans raison, saouls de bière à vomir les carnages

 

-7-             

Je me présente au fond du jardin

A la proue de mes rochers qui bordent la mer

 

Je regroupe quelques mots dans mes mains

Je n’oublie rien de l’odeur du minium et du fer

 

Dans la ville à damiers droits qui frôla sa fin

Des radoubs du port aux quartiers de baraques

En construisant des murs, on creusait des cimetières

 

-8-

Lorsque les mots n’existent pas

Ou bien si loin qu’on les cueille lettre à lettre

 

On perd son temps à tout chercher

Le comment dire ou faire, le comment naître

 

Il est si long le temps des limbes

A bégayer ce qui couve

Tout un monde à sortir, au lieu d’y venir

 

                              -9-

Les orages d’étés ont inondés mes ciels d’enfance

Quand la toile de tente s’envolait presque

 

Les mains accrochées aux piliers qui tremblent

Retenaient l’envie de s’envoler dans la nuit noire

 

Tout se perdait dans un son de bourrasque

On préférait la peur du vent et les pluies véritables

Aux délires du père qui détruisaient jusqu’à la tempête

 

              -10-           

Il peut arriver qu’on y arrive

Et ne plus jamais sentir d’où l’on sortait

 

A ravaler si souvent sa salive

On en perd l’histoire qui vous a fait

 

Il se peut qu’on s’en sorte,

Sait-on jamais de quoi, sait-on jamais trouver la porte,

La valise, le chemin ou le toit

 

-11-                    

Peu importe après tout, l’imparfaite assise

Les cicatrices cousues et l’insolente vantardise

 

Il s’agit d’un être fol poussé comme une herbe

Entre la pierre, la poussière et la glaise

 

Qu’il trouva son eau sa moelle et son verbe

Voilà qui parle dru

Comme un mensonge, une foutaise !

 

-12- 

Nous avons réchappé des caves de l’enfance

A coups de barre à mines sans que nul ne le sache

 

Sans cesse à remonter la rue qui nous vit naître

Puis traverser ce pont de la Brasserie en mille sens

 

Dans les bois, les prairies à coucous, on coupait à la hache

Des morceaux de vie à brandir aux fenêtres

Des trophées bons à fleurir les tombes des ascendants qui fâchent

 

-13-          

On s’échappait par l’ouverture de la mer

Marchant la nuit pour Atteindre Kéraliou

 

Au sortir des immeubles La joie mercenaire

Suintait à chaque pas s’infiltrant partout

 

L’enfant brandissait ses pêches dérisoires  

Oubliant chaque jour pour fabuler des temps nouveaux

Armé d’un manteau de sable et d’une armure de rocher

 

                             -14- 

Puis il y eut dans la classe, la dame tourterelle

Et les pneus gonflés d’eau de la cour de récréation

 

Elle distribuait des images et s’économisait les noms d’oiseaux

Elle en avait un, qui lui servait à couver ses élèves

 

J’ai préféré tout prendre de peur qu’on me l’enlève

Ce goût du monde qui n’existait qu’à ces pupitres

Chez moi, on s’écœurait de douleur pour tuer la détresse

 

                             -15-

J’effilais des tissus colorés après la classe

Ça ne rimait à rien et j’en garde la trace

 

Les gestes inutiles répétaient un refuge

Dessinaient fébriles des stratagèmes de transfuge

 

Il a fallu passer l’enfance quand d’autres s’attardent

Faire acte d’absence aussi souvent qu’on vous regarde

Attendre d’enfoncer sa vie plus tard, jusqu’à la garde

 

                             -16-

Engloutir les années premières prend plus que la vie

On absorbe les mirages brillants et les pâles copies

 

Embarrassé des autres à surveiller leurs jours

La menace informe qui n’existe jamais, qui existe toujours

 

Jusqu’à n’être plus personne que cet enfant

Ce miroir poli qui réfléchit plus vite que le temps

Ne devenant rien d’autre que le regard qu’on lui tend

 

                              -17-

Je montais la cage et ses marches puaient l’encaustique

L’escalier m’enfermait silence et corps et danse et tout

 

Je m’inventais la roue sans fin d’un hamster amnésique

Je regardais passer le monde en pantelant, d’un cintre à clou

 

Je frappais la Remington noire élançant les tiges à lettres

L’encre m’entrait dans la peau, ne laissant que des traces de papier

Je m’acharnais longtemps, toutes ces pages à équarrir

 

                             -18-

Rien d’autre que la sensation du monde

Coquille vide ouverte à tous les instants

 

Les emprunts que l’on fait chaque seconde

Vous abîme et vous garde en même temps

 

Lorsque vous n’êtes rien, vous pouvez être tout

C’est croire à la lune et regarder le doigt qui la montre

C’est transparaître en plein jour, poussière d’ombre qui joue

 

                              -19-

Des quelques rédemptions dérobées par hasard

J’ai gardé l’inquiète hébétude à mes mains de buvard

 

Le cœur impressionné, bouleversé d’un si maigre butin

Fait rire ou pleurer selon qu’on le plaint

 

Je voudrais garder le miel rare qui me reste

Retenir ces yeux qui me regardèrent un jour

Puis passent à autre chose, ignorant le bien, ignorant le mal

 

                             -20-

Comme un jeté de pont sur une autre rive

Comme une mansarde grise abritant tous les rêves

 

Comme un rire fou et sa joie décisive

Comme un éclat de jeunesse sauvant une vie brève

 

Je n’ai eu que des mots pour déguiser mes mains

Et cette poésie incapable de faire plutôt que dire

C’était vrai mes songes, mais la vie s’en fout des tendres lutins

                                                                                                                  BRP Mars 2019

Tag(s) : #Textes (poésie)
Partager cet article
Repost0
Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :