Pour en finir : Quelques stances pour passer le temps
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Aller comme un fantôme
A sillonner la rue Robespierre
Cet emblème de massacre
Devenu viscère et humeur et fiel
Des jours et des années pour s’extirper
De la rue qui n’en finit pas de monter
Prendre corps ou l’emprunter ?
-2-
L’escalade se nourrit d’elle-même
A dévorer la vie jusqu’aux antipodes
Et il semble qu’à jamais le ciel s’éloigne
A mesure que se cherche le souffle
On va longtemps comme un fantôme
Avant de s’asseoir comblé et vide
Tour à tour le chant puis le silence
-3-
Lorsque tout est un combat
Qu’il faut vivre malgré, au lieu de vivre pour
Lorsqu’on voudrait tout dire
Et qu’on n’apprend qu’à se taire
On risque de faillir à tout va
Ou bien encore d’oublier
La promesse infondée d’avoir vu le jour
-4-
Des échafaudages qu’ils montaient, comme à l’échafaud
Il en tombait des dizaines au fond des rues foutraques
Que voulez-vous qu’ils fissent
D’une vie de puanteur de sang et de pierre ?
Un bâtiment qu’on monte, la vie des enfants, rue Robespierre
Et plus tard des femmes jetées par les fenêtres
Les joues gonflées de coups et confites à l’alcool
-5-
Parmi ceux qui sont morts à reconstruire la ville blanche
Mon père peignait là, puis revêtait le costume des dimanches
Pour oublier l’odeur de métal et les cercueils de planches
En imaginant que certains prendraient leur revanche
Les réchappés ne verraient rien encore que la guerre
Pas la grande mais un ravage de soleil au fond des Aurés
Ils en reviendraient la tête cassée comme du verre
-6-
Fous comme des diables à remâcher leurs mots
Des délires de grenades qui leur restaient dans la peau
Mélangés à ceux qui mourraient, suppliciés
Ils ont abandonné leurs vies aux charniers
Ne durent que la peur et la démence des rages
Le silence ou la crépitation des bouches à feu et à sang
Fous de guerre sans raison, saouls de bière à vomir les carnages
-7-
Je me présente au fond du jardin
A la proue de mes rochers qui bordent la mer
Je regroupe quelques mots dans mes mains
Je n’oublie rien de l’odeur du minium et du fer
Dans la ville à damiers droits qui frôla sa fin
Des radoubs du port aux quartiers de baraques
En construisant des murs, on creusait des cimetières
-8-
Lorsque les mots n’existent pas
Ou bien si loin qu’on les cueille lettre à lettre
On perd son temps à tout chercher
Le comment dire ou faire, le comment naître
Il est si long le temps des limbes
A bégayer ce qui couve
Tout un monde à sortir, au lieu d’y venir
-9-
Les orages d’étés ont inondés mes ciels d’enfance
Quand la toile de tente s’envolait presque
Les mains accrochées aux piliers qui tremblent
Retenaient l’envie de s’envoler dans la nuit noire
Tout se perdait dans un son de bourrasque
On préférait la peur du vent et les pluies véritables
Aux délires du père qui détruisaient jusqu’à la tempête
-10-
Il peut arriver qu’on y arrive
Et ne plus jamais sentir d’où l’on sortait
A ravaler si souvent sa salive
On en perd l’histoire qui vous a fait
Il se peut qu’on s’en sorte,
Sait-on jamais de quoi, sait-on jamais trouver la porte,
La valise, le chemin ou le toit
-11-
Peu importe après tout, l’imparfaite assise
Les cicatrices cousues et l’insolente vantardise
Il s’agit d’un être fol poussé comme une herbe
Entre la pierre, la poussière et la glaise
Qu’il trouva son eau sa moelle et son verbe
Voilà qui parle dru
Comme un mensonge, une foutaise !
-12-
Nous avons réchappé des caves de l’enfance
A coups de barre à mines sans que nul ne le sache
Sans cesse à remonter la rue qui nous vit naître
Puis traverser ce pont de la Brasserie en mille sens
Dans les bois, les prairies à coucous, on coupait à la hache
Des morceaux de vie à brandir aux fenêtres
Des trophées bons à fleurir les tombes des ascendants qui fâchent
-13-
On s’échappait par l’ouverture de la mer
Marchant la nuit pour Atteindre Kéraliou
Au sortir des immeubles La joie mercenaire
Suintait à chaque pas s’infiltrant partout
L’enfant brandissait ses pêches dérisoires
Oubliant chaque jour pour fabuler des temps nouveaux
Armé d’un manteau de sable et d’une armure de rocher
-14-
Puis il y eut dans la classe, la dame tourterelle
Et les pneus gonflés d’eau de la cour de récréation
Elle distribuait des images et s’économisait les noms d’oiseaux
Elle en avait un, qui lui servait à couver ses élèves
J’ai préféré tout prendre de peur qu’on me l’enlève
Ce goût du monde qui n’existait qu’à ces pupitres
Chez moi, on s’écœurait de douleur pour tuer la détresse
-15-
J’effilais des tissus colorés après la classe
Ça ne rimait à rien et j’en garde la trace
Les gestes inutiles répétaient un refuge
Dessinaient fébriles des stratagèmes de transfuge
Il a fallu passer l’enfance quand d’autres s’attardent
Faire acte d’absence aussi souvent qu’on vous regarde
Attendre d’enfoncer sa vie plus tard, jusqu’à la garde
-16-
Engloutir les années premières prend plus que la vie
On absorbe les mirages brillants et les pâles copies
Embarrassé des autres à surveiller leurs jours
La menace informe qui n’existe jamais, qui existe toujours
Jusqu’à n’être plus personne que cet enfant
Ce miroir poli qui réfléchit plus vite que le temps
Ne devenant rien d’autre que le regard qu’on lui tend
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Je montais la cage et ses marches puaient l’encaustique
L’escalier m’enfermait silence et corps et danse et tout
Je m’inventais la roue sans fin d’un hamster amnésique
Je regardais passer le monde en pantelant, d’un cintre à clou
Je frappais la Remington noire élançant les tiges à lettres
L’encre m’entrait dans la peau, ne laissant que des traces de papier
Je m’acharnais longtemps, toutes ces pages à équarrir
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Rien d’autre que la sensation du monde
Coquille vide ouverte à tous les instants
Les emprunts que l’on fait chaque seconde
Vous abîme et vous garde en même temps
Lorsque vous n’êtes rien, vous pouvez être tout
C’est croire à la lune et regarder le doigt qui la montre
C’est transparaître en plein jour, poussière d’ombre qui joue
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Des quelques rédemptions dérobées par hasard
J’ai gardé l’inquiète hébétude à mes mains de buvard
Le cœur impressionné, bouleversé d’un si maigre butin
Fait rire ou pleurer selon qu’on le plaint
Je voudrais garder le miel rare qui me reste
Retenir ces yeux qui me regardèrent un jour
Puis passent à autre chose, ignorant le bien, ignorant le mal
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Comme un jeté de pont sur une autre rive
Comme une mansarde grise abritant tous les rêves
Comme un rire fou et sa joie décisive
Comme un éclat de jeunesse sauvant une vie brève
Je n’ai eu que des mots pour déguiser mes mains
Et cette poésie incapable de faire plutôt que dire
C’était vrai mes songes, mais la vie s’en fout des tendres lutins
BRP Mars 2019