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Imaginez que vous deviez demander une permission à votre chef d’orchestre pour vous rendre à un rendez-vous galant ! Mais qu’en plus, vous n’ayez pu être embauchée dans l’orchestre qu’en respectant des conditions de poids maximal, avec en prime, un âge de moins de 30 ans !

Tout cela était parfaitement normal dans les années 20. Années dans lesquelles on donna également son nom au Jazz devenant dans le même temps, la musique la plus populaire de l’époque. C’était également la période où l’on vit de plus en plus d’orchestres exclusivement féminins se produire sur les scènes du pays. 

Mon nom est Vickie O’Neon, batteuse et prof de batterie. Tout ce que je viens de vous dire et plus encore dans ce qui suit.

Générique - Vickie O’Neon vous présente « Jouer de la batterie à travers les décennies ».

Épisode 3 - 1920 à 1930

  1. Les bars clandestins (Speakeasy Venues) :

C’est fait ! Nous voici en 1920, la décennie connue comme l’âge du jazz et celle des années folles. C'est également l'époque où les lois sur la prohibition sont les plus dures. Bien loin d'empêcher les gens de boire, ces lois firent les beaux jours de l'alcool et de la fête. Et parce que tout cela était illégal, toutes ces bacchanales se déroulaient sous le manteau. Les fameux bars clandestins firent leur apparition.

On n’entrait pas dans ces clubs sans mots de passe mais ils étaient généralement devenus les lieux les plus à la mode des centre villes.

La musique dans ces lieux était principalement du jazz, joué par des afro-américains ; une musique elle-même clandestine à cause des lois ségrégationnistes.

Le jazz de cette époque était avant tout une musique à danser. Si bien que les bars clandestins étaient les plus courus pour passer ses nuits dans l'excitation et l'effervescence de la danse.

  1. les débuts de l’enregistrement de la batterie

Alors qu’à partir de 1922 La radio émettait nationalement, les enregistrements discographiques étaient de plus en plus demandés et accessibles. La musique de jazz a pu dès lors, être consommée par des millions de gens et Se diffuser rapidement auprès de fans de plus en plus nombreux. Ce phénomène ne toucha pas uniquement l'Amérique mais également l'Europe et finalement le monde entier.

Ces nouvelles technologies permettaient aux gens d'entendre des musiques nouvelles sans être physiquement présents dans des salles de spectacle. Aujourd'hui cette possibilité semble être une évidence absolue, mais il n’en était rien à l'époque.

Cependant, l’enregistrement des sons de batterie et de percussion à l'aide de ces technologies de l’époque demeurait difficile. Pour enregistrer sur phonographe par exemple, vous ne disposiez que d'un large pavillon pour saisir l'ensemble d'un orchestre sur un disque. C'est la raison principale pour laquelle on entend que très peu de percussions sur les premiers enregistrements. Pour pouvoir se mêler aux autres sons, dans les toutes premières sessions d'enregistrement, la batterie devrait être systématiquement étouffée et être jouée très, très doucement. La seule méthode était de mettre les instruments les moins audibles devant et tous les instruments qui produisaient beaucoup de son à l'arrière. Et… très, très loin de tout le monde vous aviez le batteur.

D'ailleurs, lorsque le batteur se mettait à donner trop fort de la grosse caisse, les vibrations pouvaient faire glisser l'aiguille qui imprimait la musique dans la cire. Toute la prise était alors ruinée ! C'était donc un risque énorme de faire jouer un batteur lors d'une session d'enregistrement.

  1. Dixieland Jazz

Savez-vous d'où vient le terme jazz ?

Le dixieland jazz qui était le style de musique populaire à l'époque tenait son nom d'un groupe appelé « l'original dixieland jass group » écrit avec deux S.

Ce groupe jouait en 1917, le morceau considéré comme le tout premier enregistrement de jazz qui s’appelait « Dixie Jassband One Step ».  le disque eut un succès fou dans toute l'Amérique.

Le Blues est une autre influence majeure du Jazz, une base incontournable qui connut de nombreux développements tout au long de l'histoire de cette musique.

Nous regarderons de plus près ce fameux blues un peu plus loin dans cet épisode. Avant cela, voyons une autre des influences du Jazz, notamment pour ce qui est de la rythmique ; le « Second line drumming » ou batterie de deuxième ligne.

Le terme "2nd line" désigne littéralement la deuxième ligne de musiciens dans les fanfares, qu’on faisait jouer lors des funérailles ou des défilés de Mardi Gras. Habituellement on trouvait deux percussions principales dans la deuxième ligne. La grosse caisse et la caisse claire.

Je vous emmène dans mon studio pour illustrer tout ça.

Au studio : Le jazz des débuts qui venait de la Nouvelle-Orléans était profondément inspiré par les rythmes de la deuxième ligne, dont les batteurs jouaient essentiellement les rudiments militaires, avec une pulsation «lourde» connue sous le nom de 2-feel, (démonstration) puis ils l'ont mélangé avec les rythmes syncopé du ragtime en appuyant les rudiments par des roulements (press-rolls). (démonstration)

 Tout ceci créait une ambiance propice à la danse que les gens appréciaient énormément.

On aura compris que le « Dixieland jazz » était réellement une musique pour faire danser les gens.  On retrouve d'ailleurs une connexion directe avec les rythmes africains, la clave en 3-2 (clave 3-2) que l’on combine avec les rythmes militaires. Ils forment ensemble un rythme unique et original.

Dans cette musique on ressent d'abord un découpage ternaire du temps (1-2-3-1-2-3…) qui est et sera caractéristique des musiques afro-américaines pendant les décennies à venir.

Quelque chose est intéressant à pointer ici :  dans « l'Original Dixieland Jazz Band » les musiciens étaient tous blancs. C’était le début d'un mouvement qui allait prendre des dizaines d'années à se résoudre : Les blancs utilisaient la musique afro-américaine et la rendait populaire, exploitant la célébrité interdite aux noirs.

Sur le plan technique, quelles étaient les caractéristiques des kits de batterie à cette époque ?  Comme vous le voyez, on ne disposait pas encore de la Charleston, ni des Toms, pas non plus de la cymbale « Ride ». Par contre des petites percussions comme des woodblocks ou des cowbells existaient bien. Elles étaient utilisées pour des remplissages (fill-ins) et des effets divers. C'est l'origine du mot fill (remplissages, parfois roulements en français).

Ce qui rendait le « dixyeland » unique, c'est que tous les musiciens improvisaient, jouant les uns par rapport aux autres, plutôt que de jouer un solo chacun à son tour.  

Cette caractéristique est courante dans la musique jazz d'aujourd'hui.

Faisons donc une démonstration de ce style Dixieland sur la batterie. Démonstration "Tiger rag – L’original Dixieland Jass Band »

  1. Le Blues

Les années 20 virent l'émergence de femmes musiciennes à la fois dans le jazz et dans le blues. Une chanteuse de blues du nom de Mamie Smith, enregistra « Crazy Blues » en 1920. Ce fut un tel succès qu'il entraîna une véritable industrie vouée au blues chanté par des femmes.

La batterie n'était pas vraiment utilisée dans le blues avant la fin des années 30. Jusque-là les musiciens chantaient le Blues généralement seul avec une guitare, marquant les rythmes uniquement avec leurs pieds.

Quand ils ont choisi de jouer avec d'autres musiciens, celui qu'on appelait le batteur utilisait un washboard et d'autres percussions de fortune réalisées avec des ustensiles de cuisine.

Bessie Smith devint la plus célèbre des chanteuses de blues des années 20 Même aujourd'hui plusieurs décennies après sa mort elle est toujours considérée comme l’impératrice du blues.

Avant elle, celle qui lui montra le chemin en étant « sa  mentor », s’appelait « Ma Rainey » réputée comme la « mère du blues ». Son premier enregistrement « Bo-Weavil Blues » date de 1923 ; elle sortit plus de cent autres disques pendant les 5 années suivantes.

Le premier enregistrement de Bessie Smith, « Downhearted blues » remporta un succès retentissant, dont on dit qu'il fut vendu à 800 000 exemplaires. Elle continua à connaître de grands succès pendant toutes les années 20 et devint la chanteuse noire la plus rentable du monde à la fin de cette décennie.

Il est temps de revenir dans mon studio pour une démonstration à la batterie des structures de base du blues.

La structure du blues qu'on peut entendre dans le jazz, le rythm’n blues et le rock n’roll est caractérisée par une progression harmonique d'accords particuliers. La plus commune est organisée en 12 mesures. (12 bar blues). Elle utilise l’accord de la dominante (I) de la quarte (IV) et de la quinte (V).

Par exemple si vous jouez en Do, Do sera l’accord de dominante, l’accord de quarte le sol et à la quinte vous trouvez le Fa.

Les 12 mesures s’organisent très souvent sur une structure AAB, ce qui signifie que les quatre premières mesures sont chantées puis répétées (ce qui fait 8 mesures) de la même manière : (AA), puis dans les 4 dernières mesures, la section B expose une ligne de conclusion qui est légèrement différente. Ce motif en règle générale, va être répétée encore et encore.

De la même manière que dans le Jazz, on utilise un découpage rythmique ternaire (« triolets ») dans le blues.

Si vous jouez le blues aujourd'hui, je dirais que la manière la plus basique d'accompagner à la batterie est de décliner des triolets (démonstration) à la cymbale Ride. On jouera 12 notes pour 4 temps, ce qui s’appelle une armature en 12/8. 

À la grosse caisse, nous marquons les 1ers et 3e temps (démonstration).  La caisse claire enfin, est sur les temps deux et quatre ; Voici donc le plus basique des rythmes blues à la batterie (démonstration).

On utilise souvent le crosstick (manière de frapper les rebords de la caisse claire pour un son claqué) à la caisse claire et on peut introduire des variations à la grosse caisse.  Jouez donc avec tout cela et constatez les variations que cela donne (démonstration).   

Cependant, dans les années 20, cela sonnait assez différemment puisque la cymbale Ride n'était pas encore inventée et que cette manière de marquer les temps 2 et 4 (BackBeat) n'était pas encore courante. Cette manière de jouer ne viendra qu’un peu plus tard.

Donc pour cette démonstration, je vais utiliser ma tapette à mouche (fly swatter) appelé plus couramment balai (brushes-voir l’invention des balais dans l’épisode 2) pour accompagner Bessie Smith dans ce blues du début des années 20 (démonstration-Young woman blues-Bessie Smith)

  1. Les Orchestres de femme

Pendant cette période les orchestres composés uniquement de femmes se firent plus nombreux et les formations devenaient de plus en plus sophistiquées. On vit apparaître des « Big Band » qui s'appelaient « les parisiens » ou « Lil’ hardin’s all-girl band », « Harlem players » ou « les douze vampires ».

Le plus fameux des orchestres de femmes de l’époque avait été initié par un homme du nom de Phil Spitalny. Il comprit qu'il tenait là une des recettes du succès, en réunissant les meilleures musiciennes des États-Unis.

Le groupe avait son propre show radio « l'heure du charme de Spitalny » qui réunissait des centaines d'auditeurs et inspira toute une nouvelle génération de femmes qui osèrent s’emparer d’un instrument de musique.

Le groupe Spitalny avait tellement de succès qu’il devint synonyme des orchestres de femme pendant un grand nombre d’années. Leur batteuse Mary MacClanahan fut la première batteur-femme à être parrainée par une grande firme de fabrication de batterie. La compagnie Gretsch avait la réputation de fabriquer les meilleurs sets de batterie Jazz du monde.

Bien Joué Gretsch !

Ce « Hour of Charm Orchestra » était particulièrement apprécié par l'Armée. Sa musique était spécialement dédiée à tous les militaires US qui servaient dans des bases partout dans le monde. On pensait que les soldats trouveraient du réconfort dans cette musique puisqu'elle était jouée entièrement par des femmes ; Tout n’était pas rose cependant. Pour pouvoir jouer dans l'orchestre, les femmes devaient répondre à nombre d'exigences qui n'avaient rien à voir avec leurs talents musicaux.

Elles devaient avoir la vingtaine, avoir les cheveux longs et souples et peser moins de 54 kg. Elles n’étaient pas autorisées à se marier et devait demander la permission pour se rendre à un rendez-vous galant.

D'autres groupes étaient plus favorables à l'émancipation des femmes. Le « Marian pankey’s Female Orchestra » par exemple, était novateur dans son genre. C’était un groupe de jazz composé exclusivement de femmes noires.

Les « Ingenues » était un autre groupe dirigé par la compositrice Louise Sorenson. Dans son orchestre, chaque membre de l'orchestre était multi-instrumentiste et le groupe bénéficiait d'un grand respect pour être l’un des plus polyvalents de son époque ; le matériel du groupe comportait 12 pianos quart de queue, des batteries des banjos, des accordéons, des instruments à cordes et à vent.

Imaginez-vous qu’elles trimballaient tout ça pour ce qui ressemblait à un salaire de misère !

Un autre groupe était celui d’«Hélène Lewis and her all girl jazz syncopaters» qui eut l'opportunité de jouer pour un des rares films sonores en musique directe, ce qui lui donna un public beaucoup plus large.

 

  1. Les « Talkies »

Quelques années plus tard, à la fin des années 20, les films parlants, appelé « talkies », trouvent leur public et l'époque des films muets se termine très, très rapidement.

Des centaines de batteurs se retrouvèrent au chômage instantanément ; tous ceux qui dans la dernière décennie, s'étaient spécialisés dans le bruitage et les effets spéciaux sonores pour les films et les radios.

Une panique similaire a frappé les batteurs dans les années 80 lorsque les boîtes à rhytme sont apparues mais quelles que soient les inventions nouvelles, elles n’ont jamais remplacé la nécessité d'un batteur en chair et en os.

Lors du prochain épisode, nous parlerons de l'évolution de la Charleston mais aussi des raisons qui empêchaient de terminer un roulement sur le premier temps. Nous rencontrerons également la batteuse la plus rapide de toute l'Amérique.

Générique - La prochaine fois sur « Drumming through the decades » Episode 4 – Les années 30/40.

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